L’écocide venant avec son florilège de contraintes difficiles à imaginer, cet article en dix parties vous en apprendra les origines, les acteurs et les véritables objectifs. Cinquième partie.
Le lobbying en action
Illustrons-le. Le 26 octobre 2022, un communiqué de presse avec une réunion Zoom conjointe rassemblait Jojo Mehta, Marie Toussaint, Patrizia Heidegger (secrétaire générale adjointe du Bureau européen de l’Environnement, l’une des ONG du secteur les plus présentes auprès de la Commission européenne) et Sirpa Pietikainen, députée européenne, rapporteure de la commission ENVI de l’UE. Les quatre intervenantes ont annoncé qu’un document, « soumis aux agences de l’UE par la Fondation Stop Ecocide, vient d’être validé par le vote de la Commission de l’environnement de l’UE (ENVI) sur ses propositions concernant la révision de la directive européenne. La commission a proposé d’inclure un article autonome dans la directive établissant un délit d’écocide pour couvrir les « dommages graves et étendus ou à long terme à l’environnement ». S’il est adopté dans la directive révisée, cet article pourrait permettre aux États membres de poursuivre les atteintes les plus graves à l’environnement, qui ne sont actuellement pas considérées comme des crimes graves dans aucun État membre ». Le document demandait la protection de l’environnement par le droit pénal. Comme nous l’avons vu dans notre première partie, ce lobbying a porté ses fruits en mars 2023, notamment au travers de l’action de la même Marie Toussaint.
Stop Ecocide et la consultation multipartite de Stockholm+50
Cette victoire de Stop Ecocide s’inscrit dans une dynamique soutenue. Avant octobre 2022, il y eut ainsi le Sommet décennal de l’écologie des Nations unies, cette fois nommé Stockholm+50 (2 & 3 juin 2022), en référence au Sommet de Stockholm de 1972. En amont du Sommet, une consultation multipartite de parties prenantes Europe & Amérique du Nord a eu lieu – avec une traduction des programmes et de la vidéo en anglais et en russe. De mauvaise qualité, cette vidéo est non répertoriée avec à peine plus de 50 vues. Nous y retrouvons alors Patrizia Heidegger, secrétaire générale adjointe de l’ONG European Environmental Bureau (EEB) précitée. Le document de la consultation (13 pages) rapportait déjà plusieurs demandes en faveur d’une loi sur l’écocide et d’une reconnaissance internationale du crime d’écocide.
En poussant plus loin les recherches, nous en découvrons davantage. La vidéo non répertoriée de Stockholm, en anglais, fait moins de 14 minutes (en plus d’être d’une qualité désastreuse). Par contre, celle doublée en langue russe (avec encore moins de vues, 19 seulement au moment où nous rédigeons) dure plus d’1h10 – avec un doublage qui nous empêche de comprendre les échanges. Malgré cela, cette vidéo en russe est d’un intérêt majeur, dans la mesure où nous découvrons les noms des participants et des organisations auxquelles ils sont affiliés, ce que ne révèle pas le document de la consultation précité. Outre Patrizia Heidegger déjà citée, figurent plusieurs membres du Programme des Nations unies pour l’Environnement (PNUE), mais également deux membres de Stop Ecocide (que nous avons encadrées en rouge sur notre capture ci-dessous) : Sue Miller, chef des réseaux mondiaux de l’ONG, ainsi que Shirleen Chin, chargée des projets stratégiques. D’autres personnalités sont également présentes, comme Constanza Prieto, membre du projet Harmony with Nature de l’ONU mais surtout juriste au sein de l’Earth Law Center, une ONG que nous évoquerons à la fin de nos articles sur Stop Ecocide.
De Stop Ecocide aux réseaux Davos-Rockefeller
Stop Ecocide s’est illustrée lors d’un autre évènement associé à Stockholm+50, plus précisément à son Climate Hub. Le 31 mai 2022, soit deux jours avant l’ouverture du Sommet officiel, s’est tenu « Ecocide Law – the Stockholm legacy » (i. e. « Loi sur l’écocide – l’héritage de Stockholm »). L’organisation patronne est We Don’t Have Time, avec le concours de Stop Ecocide et de la branche suédoise d’End Ecocide. Ce point est particulièrement central, dans la mesure où We Don’t Have Time, soutien majeur de la Youth Climate March mais surtout coorganisatrice du Climate Hub de Stockholm+50, est une ONG fondée par Ingmar Rentzhog. Ce Suédois, surnommé « Mark ZuckerVert », est la personne à l’origine de la médiatisation de Greta Thunberg. Dans son article pour Reporterre intitulé « Le capitalisme vert utilise Greta Thunberg », l’ancienne députée écologiste Isabelle Attard a rapporté les éléments trouvés par le journaliste suédois Andreas Henriksson dès le 11/12/2018 et publiés sous le titre « PR-spinnet bakom Greta Thunberg » (« La manipulation des relations publiques derrière Greta Thunberg »). Cet article riche en informations fournit des captures d’écran pour étayer ses assertions.
Nous compléterons avec les nôtres. Au mois de mai 2018, Ingmar Rentzhog a été nommé président du think tank Global Utmaning (i. e. Global Challenge), poste qu’il a occupé jusqu’en septembre 2020. Il y est désormais membre du comité de nomination. Global Utmaning a été créé et financé par la milliardaire Kristina Persson, ancienne ministre de la Stratégie de l’Avenir et de la Coopération nordique du gouvernement social-démocrate Löfven. Persson est par ailleurs membre du conseil stratégique de l’European Policy Centre (EPC), l’un des think tanks les plus influents auprès de la Commission européenne. Fondé en 2005, Global Utmaning se présente comme dédié à un avenir durable, avec pour principes directeurs les Objectifs du millénaire pour le développement et désormais l’Agenda 2030. Global Utmaning est financé entre autres par la Bill & Melinda Gates Foundation et le programme Horizon 2020 de l’Union Européenne, et a parmi ses partenaires le World Economic Forum (Global Utmaning précise compter « plus de 90 consultants principaux ainsi que 20 ‘Future Thinkers’, un réseau de jeunes consultants affiliés à la communauté Global Shapers du World Economic Forum ») – qui accueillit Greta Thunberg –, le WWF, la branche européenne de The Climate Reality Project d’Al Gore (membre du directoire de Davos) 1 et plusieurs branches de l’ONU : UN Global Compact, UN-Habitat et l’ECOSOC. À ce titre, elle dispose d’un statut consultatif auprès des Nations unies, et l’organisation en a fait le coordinateur de Sweden Local2030 Hub 2 (en partenariat entre autres avec la branche suédoise du WWF), « l’un des huit hubs mondiaux des Nations unies qui travaillent localement à la réalisation des objectifs mondiaux » 3 . Pour son projet relatif à l’Agenda climatique, Global Utmaning est notamment partenaire de We don’t have time.
Remontons un peu plus vers le moyeu de We Don’t Have Time. Brièvement d’abord avec Susanne Wedin-Schildt, membre de son directoire, fondatrice et PDG de l’Ocean Community Challenge (dont l’un des partenaires business est la plateforme UpLink du Forum de Davos) mais aussi « Climate Reality Leader » pour le Climate Reality Project d’Al Gore. Toujours brièvement avec Anette Nordvall, également membre du directoire de We Don’t Have Time et bénévole au sein du Climate Reality Leadership Corps du Climate Reality Project précité. Plus longuement par contre, arrêtons-nous sur le PDG du directoire consultatif de l’ONG We Don’t Have Time, Björn Larsson. Parmi ses divers jetons, il est membre de la Clinton Global Initiative, mais il est surtout un membre fondateur du Global Impact Investment Network (GIIN).
Cette structure a donné son impulsion au concept d’impact investing, traduit en français par investissement à impact social. Sa première mention date de 2007 et émane de la Rockefeller Foundation 4. À son Bellagio Center en Italie – lieu des premières réunions du Club de Rome –, la Fondation a présenté en 2007 et en 2008 son Impact Investing Initiative, qu’elle a alors doté de 38 millions de dollars. Comme le précise Novethic, ce concept « s’inscrit dans la perspective de l’investissement socialement responsable (ISR 5) et du développement durable ». Le Global Impact Investing Network (GIIN) souligne que l’impact investing est une industrie qui croît rapidement au travers d’investisseurs qui souhaitent combiner un impact social & environnemental avec un retour sur investissement. Tous les types d’actifs sont concernés, et l’impact investing se déploie sur les marchés développés comme sur les marchés émergents. Le GIIN définit ce capital comme destiné à « répondre aux défis mondiaux les plus urgents dans des secteurs comme l’agriculture durable, les énergies renouvelables, la conservation, la microfinance, et des services accessibles et abordables comme le logement, les soins de santé, et l’éducation ».
Dans le monde, une recherche sur Google Trends rapporte que l’intérêt pour l’impact investing croît régulièrement depuis 2009, année de la création du GIIN. Le conseil des investisseurs du GIIN comprend de nombreuses organisations 6, parmi lesquelles plusieurs noms que nous avons déjà pu remarquer précédemment : The Rockefeller Foundation (en figure de proue), Soros Economic Development Fund, The David and Lucile Packard Foundation, Acumen 7, Ford Foundation, The John D. and Catherine T. MacArthur Foundation, Triodos Investment Management. D’autres noms sont également parlants : LeapFrog Investments (financée par George Soros), BERD (Banque européenne pour la reconstruction et le développement), Deutsche Bank, Morgan Stanley, J. P. Morgan 8, etc. En dehors de cette organisation, d’autres enseignes de premier plan s’investissent dans l’impact investing, comme le souligne le Rockefeller Philanthropy Advisors : BlackRock, Goldman Sachs, Bain Capital, TPG 9. Enfin, une lecture des profils détaillés membre du GIIN rapporte également la prégnance (la mainmise) de la Rockefeller Foundation.
Par conséquent, l’association We Don’t Have Time avec End Ecocide et Stop Ecocide souligne l’importance accordée par de très puissants réseaux à ces deux dernières organisations. En cerise sur le gâteau, nous ajouterons les profils du directoire consultatif américain de We Don’t Have Time. Pour situer la mainmise, rappelons ici que son fondateur est Suédois, que l’ONG ne dispose que de deux directoires consultatifs : États-Unis et monde, et que le PDG de ce dernier est, comme nous l’avons vu, étroitement lié aux réseaux US & Rockefeller. Le directoire américain comprend sept membres. Cinq ont retenu notre attention. Thomas Snitch a passé « 47 ans à Washington DC », servant aussi bien à la NASA, au Département d’État, qu’à la Maison Blanche. David Fenton, considéré comme l’une des personnalités les plus influentes du monde des relations publiques, fondateur de Fenton Communications (1982, centré notamment sur l’environnement et représentant pour l’ONG sorosienne et Démocrate MoveOn.org), a travaillé avec Al Gore et les Nations unies sur la question du changement climatique, et a cofondé Environmental Media Services avec Arlie Schardt, ancien directeur de la branche américaine de l’ONG néo-malthusienne Friends of the Earth. Ebony Twilley-Martin est la directrice exécutive de Greenpeace USA. Sherri (W.) Goodman, ancienne première sous-secrétaire adjointe à la Défense, est la secrétaire générale du Conseil militaire international sur le climat & la sécurité. Tim Kelly est l’ancien directeur de la National Geographic Society et le directeur exécutif d’Earth HQ, bras armé médiatique de la Global Commons Alliance. Nous aborderons cette structure importante dans un dossier ultérieur qui traitera du Wilderness. Précisons seulement qu’elle fut lancée au travers du Rockefeller Philanthropy Advisors et a pour raison d’être affichée le « triomphe des communs mondiaux » (traduit : une extension irrésistible du Wilderness pour empêcher l’écocide), et qu’elle participa avec We Don’t Have Time au Climate Hub de Stockholm+50 sur le thème « Planetary Stewardship – an event for the global commons ».
L’évènement « Ecocide Law – the Stockholm legacy » a accueilli plusieurs participants. Sans faire de liste supplémentaire, vers laquelle nous renvoyons, notons seulement les interventions de Jojo Mehta, Pella Thiel (End Ecocide Suède et experte auprès du programme Harmony with Nature de l’ONU ; en 2019, elle fut nommée « Environmental Hero of the Year » par la branche suédoise du WWF) Tarja Halonen (ancienne présidente de la Finlande déjà citée, soutien d’une loi sur l’écocide auprès de Stop Ecocide), Nina Macpherson, PDG de l’Ecocide Law Alliance, mais aussi Ralph Chami, vice-directeur du Fonds monétaire international et dont nous reparlerons dans un prochain article. Le cynisme du double-sens de l’intitulé de l’intervention de ces deux derniers s’appréciera : « Earth is our Business ».
- Écocide — Première partie : lame de fond
- Écocide — Deuxième partie : l’arme juridique
- Écocide — Troisième partie : End Ecocide on Earth
- Écocide — Quatrième partie : les janusiennes Extinction Rebellion et Stop Ecocide
- Écocide — Sixième partie : à l’ombre de Stop Ecocide
- Écocide — Septième partie : entre tech et New Age
- Écocide — Huitième partie : les neuf limites planétaires
- Écocide — Neuvième partie : Global Commons Alliance ou la contrainte positive
- Écocide — Dixième partie : l’humanité dernière limite planétaire
1 – L’actuelle (07/2023) PDG de Global Utmaning, Tove Ahlstrom, est d’ailleurs affiliée au Climate Reality Project. Elle figure en outre au directoire consultatif de We Don’t Have Time.
2 – Hub est le terme anglais pour « plateforme ».
3 – Le conseil d’administration de Global Utmaning est présidé par Catarina Rolfsdotter-Jansson, ancienne journaliste, modératrice pour la Commission européenne, modératrice et gestionnaire de contenu pour A Sustainable Tomorrow et animatrice de We Don’t Have Time Climate Action One-on-one, cofondatrice de l’ONG climatique internationale Our Kid’s Climate et conseillère honoraire du NGO Committee on Sustainable Development à New York, une organisation qui collabore étroitement avec les Nations unies et dont l’objectif est de surveiller et d’influencer l’implémentation de l’ensemble des engagements et accords adoptés par les Nations unies, de la Conférence de Stockholm aux engagements post-2015 en passant par Rio 1992 et Rio+20, les Objectifs de développement durable, etc. Parmi ses reconnaissances, Rolfsdotter-Jansson a reçu le Region Skåne Honorary Environmental Award « pour ses 25 ans d’engagement sur les questions environnementales », a été nommée 22e des 101 personnes les plus influentes de Suède en 2021 sur le sujet de la durabilité (sustainability), et nominée modératrice de l’année 2019 en Suède. Parmi les services qu’elle propose sur son site, elle précise donner des conférences fondées sur les Objectifs de développement durable des Nations unies. Enfin, elle fut consultante pour l’Earth Hour City Challenge organisé par le WWF.
4 – Nous parlons ici non d’une pratique, mais d’un concept, à savoir de la théorisation d’un phénomène et de sa reconnaissance publique sous un signifiant donné. De ce fait, l’impact investing non comme signifiant, mais comme signifié, aurait une existence antérieure. Dans un rapport de 2013, le Commissariat général à la stratégie et à la prospective a souligné que le concept d’impact investing représente aussi un outil de soft power (i. e. d’influence) : « le fait que le terme soit né aux États-Unis n’est pas neutre, le contexte institutionnel et social propre à chaque pays influençant la signification donnée. Dès lors, il faut veiller à ce que le concept reconnaisse la richesse du secteur de l’économie sociale et solidaire dont la structuration ancienne en Europe est parfois négligée. »
5 – Dans son lexique, Novethic définit également l’ISR. Nous en donnons ici la première partie et renvoyons à l’entrée dédiée pour son intégralité : « L’Investissement Socialement Responsable (ISR) consiste à intégrer de façon systématique et traçable des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) à la gestion financière. L’ISR favorise une économie responsable en incitant les sociétés de gestion de portefeuille (SGP) à prendre en compte des critères extra-financiers lorsqu’elles sélectionnent des valeurs mobilières pour leurs actifs financiers. On parle aussi ‘d’application des principes du développement durable à l’investissement’. Ce placement financier cherche à concilier performance économique, impact social et impact environnemental en finançant les entreprises qui contribuent au développement durable. »
6 – Au nombre de 64 à ce jour.
7 – Fondé par Andrea Soros Colombel, la fille de George Soros.
8 – Dès 2010, J. P. Morgan et la Rockefeller Foundation avaient publié un rapport sur cette « classe d’actifs émergente ».
9 – TPG fait par ailleurs partie de The Climate Coalition, un regroupement d’une vingtaine de grandes entreprises mondiales et qui investit
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