L’écocide venant avec son florilège de contraintes difficiles à imaginer, cet article en dix parties vous en apprendra les origines, les acteurs et les véritables objectifs. Deuxième partie.
L’écocide fera-t-il partie de notre droit national ? L’échec de la Convention citoyenne pour le Climat, qui en avait fait la demande, n’a fait que retarder l’échéance. Le 28 mars 2023 a marqué une date décisive. Ce jour, le Parlement européen a entériné la protection de l’environnement par le droit pénal communautaire. Plusieurs jours durant avant ce vote, les réseaux de plaidoyer sur l’écocide se sont mobilisés pour une semaine mondiale d’action.
Des progrès rapides, un lobbying soutenu
L’ONG End Ecocide on Earth en rapporte les différentes étapes :
- 20 mars : mobilisation européenne.
- 21 mars : écocide et forêts / Journée internationale des forêts.
- 22 mars : écocide et eau / Journée internationale de l’eau.
- 23 mars : écocide et défenseurs de l’environnement.
- 24 mars : actions coordonnées dans les capitales européennes.
- 25 mars : écocide et industries minières / grève mondiale de Fridays for Future – inspirée par Greta Thunberg et dont l’une des principales organisatrices est Luisa Marie Neubauer, ambassadrice jeunesse chez ONE, l’ONG fondée par le davocrate Bono et le Young Global Leader de Davos Jamie Drummond.
Comme le rapporte Euractiv, la prise de position du Parlement européen de fin mars comprend « une définition de l’écocide assortie de sanctions plus sévères ». Ainsi, plus d’un demi-siècle après l’apparition de ce concept, le lobbying en sa faveur a connu un tournant décisif, avec plus particulièrement le plaidoyer de l’eurodéputée EELV Marie Toussaint et de l’alliance parlementaire internationale qu’elle a fondée en octobre 2020, Ecocide Alliance. À peine un mois plus tard, des parlementaires suédois ont missionné un groupe international de juristes chargé de produire une définition juridique de l’écocide. On y trouvait notamment Valérie Cabanes, avec laquelle Toussaint collabore depuis 2012 au sein d’End Ecocide on Earth, ONG de Cabanes.
Si Toussaint vous est inconnue, une ONG qu’elle a cofondée ne l’est pas. En effet, Notre Affaire à Tous, qu’elle a cofondée avec Valérie Cabanes, a connu son heure de gloire. Créée en amont de la COP21, elle fut à l’origine de l’Affaire du Siècle, en collaboration avec Greenpeace France, OXFAM France et la Fondation pour la Nature et l’Homme (i. e. la Fondation Nicolas Hulot, ex-Fondation Ushuaïa). L’Affaire du siècle est une action en justice contre l’État français devant le tribunal administratif de Paris, pour sa supposée « inaction face aux changements climatiques ». Cette opération a mobilisé, selon la coalition, plus de 2,3 millions de personnes et a débouché sur une condamnation effective de l’État par les tribunaux.
Si les ONG de la galaxie écocide feront l’objet d’autres articles de notre dossier, précisons qu’elles ont constitué le centre névralgique de la reconnaissance européenne de l’écocide. Comme l’a souligné Marie Toussaint, les activistes et juristes ont joué un rôle prépondérant dans cette avancée. Rapidement, le groupe international missionné pour définir juridiquement l’écocide a formulé sa proposition, publiée le 22 juin 2021 par Stop Ecocide Foundation, émanation de l’ONG Stop Ecocide International (elle-même partenaire stratégique de l’Ecocide Alliance de Marie Toussaint). Le rapport du Parlement européen et du Conseil sur la directive défendue par Marie Toussaint précise, par le biais de la rapporteure écologiste Caroline Roose, que c’est bien cette définition de l’écocide qui est utilisée (voir section « AVIS DE LA COMMISSION DU DÉVELOPPEMENT (7.12.2022) »).
Définition de l’écocide
Traduction:
- Aux fins du présent texte, « écocide » s’entend comme tout acte illégal ou gratuit commis tout en sachant qu’il existe une forte probabilité de dommages graves et massifs ou à long-terme à l’encontre de l’environnement en raison de ces actes.
- Aux fins du paragraphe 1 :
- « Gratuit » s’entend comme le mépris inconsidéré pour des dommages incontestablement excessifs au regard des bénéfices socio-économiques attendus.
- « Grave » a pour sens un dommage qui entraîne des changements, une perturbation ou un préjudice particulièrement graves envers tout élément constitutif de l’environnement, notamment de graves impacts sur la vie humaine ou sur les ressources naturelles, culturelles ou économiques.
- « Massifs » désigne des dégâts qui s’étendent au-delà d’une zone géographique limitée, traversant les frontières d’un État, ou étant subis par l’intégralité d’un écosystème, d’espèces, ou par un grand nombre d’êtres humains.
- « À long-terme » signifie que le dommage causé est irréversible ou ne peut être naturellement réparé dans un délai raisonnable.
- « Environnement » qualifie la Terre, ses biosphère, cryosphère, lithosphère, hydrosphère et atmosphère, ainsi que l’espace extra-atmosphérique.
Projet de résolution législative du Parlement européen
Côté Parlement européen, le texte proposé initialement par la Commission (Amendement 20, proposition de directive, Considérant 16) mentionnait initialement des infractions dont la gravité les rend comparables à un écocide. L’amendement au Considérant 16 du projet de résolution législative du Parlement européen, soumis le 28 mars 2023, va bien plus loin. Il précise qu’une infraction « commise dans une zone protégée, telle qu’une zone relevant de Natura 2000, ou dans une zone où ladite infraction est susceptible d’avoir des effets significatifs compte tenu des objectifs de conservation du site protégé, il devrait s’agir de circonstances aggravantes. Lorsqu’une infraction pénale environnementale cause des dommages graves et étendus, ou graves et durables, ou graves et irréversibles à la qualité de l’air, à la qualité du sol ou à la qualité de l’eau, ou à la biodiversité, aux services et fonctions écosystémiques, ou à la faune ou à la flore, cette infraction devrait être considérée comme un crime d’une gravité particulière et sanctionnée en tant que tel conformément aux systèmes juridiques des États membres, couvrant l’écocide, dont les Nations unies sont actuellement en train d’élaborer une définition internationale officielle » (souligné par nous).
L’Union européenne annonce d’ailleurs clairement son simple rôle de courroie de transmission des Nations unies. Dans l’exposé des motifs, il est disposé qu’il importera de mettre en avant les « travaux actifs » de l’Agence, afin de « renforcer le cadre juridique à l’aide d’une définition de l’écocide ». À nouveau, les émetteurs de l’Agenda 2030 disposeront donc d’un blanc-seing. Déjà mentionnée, la rapporteure Roose a demandé que l’UE défende la requête d’une compétence de la Cour pénale internationale pour juger de ce « crime », et que les États membres comme l’UE reconnaissent également l’écocide. Comme nous le verrons dans un autre article, plusieurs organisations travaillent depuis plusieurs années sur une proposition d’amendements au Statut de Rome de la Cour pénale internationale portant sur le crime d’écocide. Il s’agirait donc de donner compétence à la Cour pour juger d’un cinquième crime, les quatre premiers étant le génocide, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre et le crime d’agression (voir p.4, Article 5 : Crimes relevant de la compétence de la Cour).
L’amendement 17 (proposition de directive, Considérant 14) dispose quant à lui que les sanctions à appliquer doivent être prévues « conformément aux systèmes nationaux ». Les États membres devront tenir compte « des avantages financiers tirés de la commission de l’infraction » – une belle tartufferie au regard des dégâts environnementaux pour la « transition énergétique » promue par la même UE. L’étau de l’Agenda 2030 est amené à se resserrer davantage sur les entreprises, qui devront implémenter de nouveaux mécanismes de diligence pour respecter les normes environnementales (amendement 19, proposition de directive, considérant 15 bis (nouveau)). Enfin, de lourdes amendes et des peines de prison, déjà proposées dans la version antérieure du texte, sont prévues pour les contrevenants physiques comme moraux. Les eurodéputés de la commission JURI avaient d’ailleurs voté, quelques jours auparavant (21 mars), en faveur de sanctions renforcées dans le cadre de crimes environnementaux. Cette prise de position n’était par ailleurs déjà qu’un écho d’un consensus croissant sur la reconnaissance de l’écocide. La branche française de l’ONG de référence Stop Ecocide rapportait ainsi qu’en février 2023, quatre des cinq commissions du Parlement européen avaient soutenu l’inclusion de l’écocide dans la directive sur les crimes environnementaux (datée de 2008, révisée en 2021) : ENVI (Environnement), DEVE (Développement), PETI (Pétitions) et LIBE (Liberté civile, Justice et Affaires intérieures). Ne manquait plus que JURI.
Sitôt voté, sitôt dévoyé
L’affaire législative n’est pas encore définitivement conclue. La proposition législative du Parlement doit être adoptée lors des trilogues, i. e. les négociations interinstitutionnelles européennes portant sur ce texte, où se réunissent de manière informelle des représentants du Parlement européen, du Conseil de l’Union européenne, et de la Commission européenne.
L’appétit venant en mangeant, Marie Toussaint a cependant sauté sur l’occasion pour tenter de faire accuser la Russie d’écocide, dans un débat à Strasbourg du 13 juin 2023. Il s’agissait des « Conséquences humanitaires et environnementales de la destruction du barrage de Nova Kakhovka – Reconstruction durable et intégration de l’Ukraine dans la communauté euro-atlantique ». Toussaint, en écho aux accusations d’écocide émises en avril par l’Ukraine (et reprises par la presse occidentale), déclarait que « l’attaque sur le barrage de Kakhovka a causé un écocide. L’enquête ukrainienne s’est d’ailleurs ouverte sur la base de l’article 441 du code pénal ukrainien instituant l’écocide. […] Volodymyr Zelensky nous demande depuis des mois de reconnaître le crime d’écocide, afin de faciliter le jugement des crimes commis par Vladimir Poutine en Ukraine. Or le silence règne. Pourquoi ? »
À méditer
Néanmoins, l’arme de l’écocide est à double tranchant et donc à retourner contre l’envoyeur. Après tout, le passage à une économie décarbonée nécessite l’extraction de minerais qui massacrent des écosystèmes entiers. Les juristes, responsables politiques et écologistes sincères ont de ce fait les bases légales nécessaires pour s’en saisir et mener une guerre juridique et cognitive à vaste échelle pour contrer cet outil que le Great Reset se fera un grand plaisir d’utiliser contre les populations et les entreprises par trop récalcitrantes à la dépossession. L’association Préservons notre montagne a par exemple récemment emboîté le pas au lobbying européen pour s’opposer à un projet de parc éolien de l’entreprise VSB dans des forêts de crête de la Montagne Noire, dans le département de l’Aude. De même, la définition de l’écocide portant sur des atteintes graves à la santé, diverses expérimentations sanitaires, notamment récentes et menées sur les populations, semblent entrer dans cette catégorisation (point 2.b). De quoi en fin de compte séparer le bon grain de l’ivraie et mettre en lumière ce dont l’écocide sera le nom.
- Écocide — Première partie : lame de fond
- Écocide — Deuxième partie : l’arme juridique
- Écocide — Troisième partie : End Ecocide on Earth
- Écocide — Quatrième partie : les janusiennes Extinction Rebellion et Stop Ecocide
- Écocide — Cinquième partie : le lobby Stop Ecocide
- Écocide — Sixième partie : à l’ombre de Stop Ecocide
- Écocide — Septième partie : entre tech et New Age
- Écocide — Huitième partie : les neuf limites planétaires
- Écocide — Neuvième partie : Global Commons Alliance ou la contrainte positive
- Écocide — Dixième partie : l’humanité dernière limite planétaire
1,332 vues