Selon le PDG de Nokia, l’avenir sera transhumaniste et environnementaliste. Contradictoire compte tenu de la réalité des captations des ressources nécessaires à l’idéal cybernétique.
De la numérisation au transhumanisme
Au Forum de Davos, Pekka Lundmark, PDG de Nokia et contributeur du World Economic Forum (WEF), s’est lancé dans une projection relative à la 6G 1 et à notre supposé devenir de cyborgs micro-implantés. À horizon 2030, nous porterions en nous des dispositifs, comme le souhaitent et le prophétisent Klaus Schwab et son proche conseiller Yuval Noah Harari. Interrogé par Darius Rochebin en janvier 2016, Schwab envisageait l’implémentation progressive de puces chez l’homme sous dix ans.
There is no green without digital.
Pekka Lundmark, le 21 mai 2022
Dans un premier temps, dans les vêtements. Par la suite, « dans notre cerveau ou notre peau ». Enfin, « une communication entre notre cerveau et le monde digital ». En somme, résume Schwab, une fusion des mondes physique, numérique et biologique, où nous serions interconnectés les uns aux autres, telle la Noosphère 2 développée par Pierre Teilhard de Chardin. Mettons de côté la dimension transhumaniste de ce projet, i. e. en somme, une déclaration de mort à la vie naturelle, biologique. Sur le plan sanitaire, Lundmark ne semble même pas envisager les cancers et autres pathologies associées à une fréquence 6 gigahertz, des émetteurs d’ondes dans notre corps, ou encore le fait d’évoluer dans un environnement saturé de radiofréquences et de champs électromagnétiques.
Le 21 mai 2022, dans le cadre du #WEF2022 ouvert le lendemain, Lundmark avait en outre publié un article sur le site de l’organisation, intitulé « Pourquoi la numérisation est notre meilleur moyen pour sauver la planète ». Il mentionnait notamment le besoin en économies plus vertes et en protection de la biodiversité. Pour lui, pas de « vert » sans numérisation. L’accroissement en gigahertz est présenté comme un progrès : « Des études suggèrent que les réseaux 5G présentent une efficacité énergétique jusqu’à 90% supérieure par unité de trafic que la 4G ».
De plus, la numérisation permettrait d’atteindre les objectifs d’émissions carbone nulles dans de nombreux secteurs. Certaines avancées sont certes intéressantes, comme dans l’agriculture, où la numérisation aiderait à réduire la consommation hydraulique tout en accroissant la quantité de nourriture produite. Néanmoins, souligne Lundmark, le spectre hertzien nécessaire à ce projet est une « ressource limitée » et se trouve dans les mains des gouvernements. Il demande donc que ces derniers donnent accès aux diverses gammes de bande, et qu’à cette fin « les entreprises et les autres parties prenantes continuent de faire pression sur eux ». À nul moment n’est toutefois abordée la question des ressources.
De la captation des ressources marines à la finance bleue
Ironiquement, l’article de Lundmark se conclut par des injonctions à « respecter les règles, se comporter avec éthique, et construire la confiance […] Soyez proactifs. Atteignez les objectifs en termes de déchets et d’émissions de CO2 […] Enfin, numérisez. Faites vite. […] La planète compte sur vous. » En pratique, la numérisation repose sur les technologies informatiques. Celles-ci sont au cœur de la guerre pour les ressources présentes dans les fonds marins. Dans un rapport fondateur de 2011, « Blue Charity Business, le business caritatif de l’environnement marin », Yan Giron a mis en lumière le lobbying de Fondations comme Packard ou Moore 3 en faveur de la protection océanique. Packard est un acteur de la micro-informatique, et Gordon Moore est le cofondateur d’Intel.
Par ailleurs, comme l’a souligné par la suite Mathilde Jounot dans son documentaire Océans, la voix des invisibles, une zone océanique « protégée » peut rester soumise à des activités d’extraction de minerai. Or yttrium, germanium, sélénium, baryum et autres nodules polymétalliques riches en cuivre, en cobalt et en manganèse, sont nécessaires à plusieurs technologies, comme les téléphones ou la micro-informatique. Leur extraction constitue également un désastre environnemental, à l’instar du lithium pour les batteries des véhicules électriques et du néodyme pour les aimants des éoliennes. Ces technologies sont pourtant présentées comme propres et soutenues par Davos comme par les plus grandes institutions, de l’ONU à l’Union européenne. L’hubris transhumaniste suppose de ce fait un massacre environnemental de masse.
Ce massacre est caché par un lobbying qui met en avant la philosophie du wilderness, que l’on peut traduire par les « terres sauvages » ou les « régions sauvages ». Il s’agit de vendre la nécessité de préserver certaines zones de toute activité humaine, en quelque sorte de les sanctuariser. Il existe de telles zones sur terre. C’est aussi le cas des mers, avec une part croissante d’aires marines protégées sans pêche, comme introduit au paragraphe précédent. Mais cette philosophie constitue également le paravent de la finance bleue, déjà identifiée par Yan Giron 4.
Les services écosystémiques bleus (eau douce, nourriture, air, matières premières, qualité de l’habitat marin, etc.) sont évalués, financiarisés et cotés au travers d’obligations bleues. Sur le modèle de leurs cousines « vertes », elles se rapportent à des projets marins et océaniques. Tel est le cas du « carbone bleu », qui a fait l’objet d’une table ronde lors de l’édition 2022 de Davos. Le blue carbon repose sur la captation du CO2 par les écosystèmes côtiers et marins, avec au premier plan la mangrove. L’écosystème des partisans de cette finance bleue est vaste, allant de Conservation International avec son Ocean Health Index, à Katherine Garrett-Cox de la Gulf International Bank, en passant par The Nature Conservancy, dont le directoire est formé de poids lourds 5 et dont l’ancien PDG était Mark Tercek, un ancien directeur de Goldman Sachs.
Le messianisme transhumaniste précède et dépasse Davos, de même que la guerre économique sur les ressources et les espaces marins sous des prétextes philosophico-environnementalistes. Le World Economic Forum représente toutefois un espace privilégié où se tissent ces réseaux subversifs. Après tout, Nokia, Moore Foundation, Packard Foundation, Nature Conservancy et Gulf International Bank sont membres ou partenaires du Forum de Davos. Quant à Conservation International, plusieurs de ses membres en font soit partie, soit y contribuent.
1 – Merci au canal Telegram de Jeanne Traduction qui a relayé cette intervention.
2 – Le mot, développé par Pierre Teilhard de Chardin dans Le Phénomène humain, a été inventé par Vladimir Vernadski. C’est la représentation d’une couche de faible épaisseur entourant la Terre (qu’on comparerait presque aujourd’hui à un biofilm) qui matérialiserait à la fois toutes les consciences de l’humanité et toute la capacité de cette dernière à penser. Suite
3 – Et d’autres : Pew Charitable Trusts, Oak Foundation, Walton Family Foundation.
4 – Le travail à ce jour inégalé de Yan Giron peut être retrouvé, sur ces questions, au travers de plusieurs de ses conférences, parmi lesquelles « Vers une privatisation des océans ? » donnée en 2014 à la Maison de la Mer. On peut également consulter son compte Twitter, désormais inactif mais riche. Yan Giron fait partie de ces rares personnes trop en avance sur leur temps, ayant cerné l’ensemble des problématiques et des enjeux autour de la question marine et océanique. Le lecteur pourra par ailleurs se reporter avec grand profit à son livre Précis de la puissance maritime : agir sur les océans, publié en 2020.
5 – Parmi lesquels Margaret A. Hamburg de la Nuclear Threat Initiative, ce think tank prophétique qui, en 2021, avait annoncé l’éclosion d’une épidémie de variole du singe le 15 mai 2022.
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