Sovkhoze vert — Sixième partie : Post Wild 4
Sovkhoze vert — Sixième partie : Post Wild 4

Sovkhoze vert — Sixième partie : Post Wild 4

Inédit, retrouvez le dossier de Thibault Kerlirzin sur le Wilderness à raison de deux nouvelles parties par semaine sur vingt.

Les congrès ultérieurs du wilderness ont poursuivi l’extension de ce concept. Wild 5, tenu en Norvège en 1993, s’est davantage centré sur le wilderness arctique, a développé le concept de vie durable (évolution du développement durable), et a fourni des recommandations à diverses organisations nordiques. En Inde en 1998, Wild 6 a notamment lancé l’Asian Wilderness Initiative, i. e. une introduction de ces zones sur ce continent. Le concept de wilderness marin y a par ailleurs été lancé. En 2001, Wild 7 s’est tenu en Afrique du Sud, à l’instar de la première édition du congrès, et rapportait une extension des aires sauvages dans plusieurs pays d’Afrique. Parmi les informations exposées, nous retiendrons celles du membre du Congrès E. Clay Shaw quant à l’introduction alors prochaine d’une loi contre l’exploitation non durable des forêts, « au moyen de différents mécanismes financiers tels que la conversion de dette, le rachat de droits d’exploitation, etc. » En 2005 en Alaska, Wild 8 s’est concentré sur les questions régionales et a valorisé plus particulièrement le rôle des peuples natifs dans la protection du wilderness.

Au Mexique en 2009, Wild 9 a renoué avec une présence fournie de délégués, à l’instar de Wild 4. Avec 1 800 délégués présents et plus de 12 000 participants en ligne, Wild 9 a mêlé le wilderness, la question humaine ainsi que le changement climatique – déjà abordé dans de précédents congrès. Plusieurs résultats rapportés par Wild 9 méritent d’être soulignés, dans la mesure où ils confirment l’influence des pays américains et leurs moyens de travailler à une ingénierie du consentement sur la question du wilderness. Le premier accord international sur la conservation des aires sauvages, lancé par la fondation WILD, a ainsi été signé entre les États-Unis, le Canada et le Mexique. Sur sept organismes signataires, cinq sont américains :

Quinze entreprises ont en outre, lors de Wild 9, signé un premier engagement en faveur du wilderness 1. Les autres points saillants rapportés lors de ce congrès constituent une synthèse de la variété des actions, allant de l’organisation d’un deuxième Conseil avec les peuples natifs à une collaboration étendue des agences gouvernementales avec les ONG et ces peuples indigènes. Le dernier point mentionné est l’un des plus importants. Il s’agit du lancement de la vision « Nature Needs Half », qui donnera naissance à la structure du même nom dont nous avons déjà parlé, avec l’objectif « de protéger au moins la moitié de la planète ». En d’autres termes, il s’agit de transformer la moitié du globe en wilderness – soit une manne conséquente pour les finances verte & bleu. Tel que se présente à ce jour le site de Nature Needs Half 2, l’objectif temporel visé se situe à l’horizon 2030, soit la date de l’Agenda 2030 des Nations unies.

En marge de son congrès, Wild 9 s’est par ailleurs illustré par un symposium sur la science et la gestion, destiné à « protéger et soutenir les valeurs du wilderness ». Il s’est articulé autour de six thèmes majeurs : l’autonomisation des jeunes, la promotion de l’implication des communautés locales, le renforcement des buts de conservation transfrontaliers, l’exploration des significations du wilderness, le monitoring et l’anticipation du changement, ainsi que les nouvelles orientations dans la gestion du wilderness. Peu ou prou, ces thèmes font écho à plusieurs des principes que nous avons déjà remarqués au sein de la Charte de la Terre.

Wild 10 a eu lieu en 2013 en Espagne, à Salamanca, avec pour slogan « Make the World a Wilder Place » 3. L’organisation a fourni les noms de plusieurs de ses sponsors. Parmi le WWF, Conservation International, le Club de Rome ou encore l’UICN figure le FEADER (Fonds européen agricole pour le développement rural). Pour rappel, celui-ci constitue le second pilier de la PAC et représente la politique de développement rural. En France par exemple, il est administré directement par les régions (depuis la loi MAPTAM du 1er janvier 2014). Les demandeurs (les porteurs de projet éligibles) de subventions peuvent être des acteurs publics, privés, ou des organisations dites de la société civile comme les ONG ou les associations – soit un levier d’influence à disposition des acteurs du wilderness. Mise en perspective par une approche systémique, cette présence du FEADER apparaît cohérente au regard de l’implémentation ultérieure du Pacte vert pour l’Europe par la Commission von der Leyen, et de l’inscription de la politique de la présidente de la Commission européenne dans l’Agenda 2030 de l’ONU et sa déclinaison davosienne, le Great Reset.

Sur le congrès en lui-même, Wild rapporte que l’évènement a débouché sur deux initiatives politiques majeures, exposées à de hauts représentants de l’Union Européenne, du Conseil de l’Europe et de la Commission mondiale sur les aires protégées de l’UICN. La première est la Déclaration de Salamanca, soutenue par dix organisations conservationnistes mondiales de premier plan – dont Conservation International et l’UICN. Cette déclaration affiche des données anxiogènes et se veut alarmiste à l’image des scenarii les plus catastrophistes du GIEC. À l’instar du rapport The First Global Revolution du Club de Rome, daté de 1991, le propos général laisse entendre explicitement que « l’ennemi commun de l’humanité, c’est l’homme ». En témoigne la référence au concept de Sixième extinction, attribuée aux « pressions anthropogènes ».

La Déclaration présente ses solutions, qui passent notamment par une extension des aires protégées au niveau mondial, avec une bonne gestion et des réseaux dédiés. Le soutien aux initiatives indigènes et communautaires est également préconisé, une méthode que l’on a pu observer chez plusieurs ONG. Les aires protégées privées sont mises en avant et présentées comme ayant montré leur efficacité dans les efforts mondiaux au sein du domaine de la conservation. Dans sa version intégrale présentée dans le même document, la déclaration salue les aires protégées privées « établies par des individus, des ONG, des fondations ou des entreprises ». L’influence des ONG (et donc, ajouterons-nous, de leur utilisation comme outil de dominance et de guerre économique) est saluée : leur rôle dans la gestion et la gouvernance environnementales est présenté comme davantage accepté. La déclaration précise que le nombre d’ONG environnementalistes est en forte croissance dans les pays en développement 4. L’Europe, quant à elle, présenterait de nombreuses opportunités de « réensauvagement » (rewilding). Le dernier point, central, quantifie monétairement la nature :

L’échec à freiner la perte de biodiversité a été estimée à 550 milliards de dollars annuels ; une attention croissante est portée à l’intégration de la valeur du capital naturel dans les procédures de la comptabilité nationale et de la comptabilité d’entreprise.

Nous retrouvons ce point dans la huitième requête formulée par la déclaration, et destinée aux acteurs publics, privés et sociétaux : « Valoriser pleinement le capital naturel […] ».

La seconde initiative majeure de Wild 10, « A Vision for a Wilder Europe », se veut un agenda d’action à horizon 2023. Le rapport éponyme 5 demande, parmi ses requêtes, de reconnaître la valeur écologique et économique sous-estimée de la vie sauvage (point 3). Il recommande également de mettre en œuvre des mécanismes financiers :

Nous invitons les institutions financières, investisseurs à impact, les entreprises et le secteur privé à aider à développer le ‘Business Case for the Wild’ en partageant leur connaissance, leurs idées et leur intérêt sur la façon de générer et de fournir du capital et du soutien aux entreprises liées au wilderness et au rewilding tout en maintenant intégralement ces actifs naturels. » (point 5)

Ces mécanismes sont ensuite davantage développés, et le rapport demande que la DG Environnement de la Commission européenne et le Conseil de l’Europe intègrent cette approche au cycle LIFE pour 2014-2020 :

Différents instruments, crédits compensatoires et diverses options fondées sur le marché pour le paiement des services écosystémiques devraient également être étudiés. (point 7)

Dans le même ordre d’idées, le paragraphe 36 de la section « Context » du rapport, centré sur la « nouvelle économie » propulsée par le wilderness, dispose que la conservation permet une transition vers une économie de services fondée sur les valeurs de la nature et du « wild ». Le poids du secteur privé par rapport au public est rappelé, « qui pourrait occuper une niche émergente entre la philanthropie et le financement lucratif pur ». Cette approche est à nouveau mentionnée dans le résumé des recommandations du rapport : « […] des recettes plus élevées issues du ‘capital naturel’ (les services écologiques / environnementaux) ».

Depuis l’article de Garrett Hardin et les débuts du Club de Rome, nous sommes ainsi intégralement passés à une exploitation financière de la nature.

En attendant Wild 12 qui aura lieu en août prochain.

1 –  Acciona, AES-Termoelectrica Del Golfo, Alfa, Bimbo, CEMEX, Coca-Cola de Mexico, Cooper T. Smith de Mexico, Femsa, Ferromex, Fresnillo-PLC, LTH, Plenus, Promotora Ambiental, Vitro, Wal-Mart de Mexico.

2 – Parmi les membres de l’organisation, relevons le Sierra Club, Google Earth Outreach, ou encore la Leonardo DiCaprio Foundation.

3 – Wild renvoie vers le site de l’évènement mais celui-ci est désormais inactif. Pour retrouver les informations exploitables, nous sommes passés par la Wayback Machine.

4 – Nous retrouvons ici, à nouveau, les fruits des graines semées pendant plusieurs décennies par Maurice Strong et ses réseaux.

5 – Ce rapport est disponible sur le site de Rewilding Europe.

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