Davos, le grand inconnu de Bruxelles
Davos, le grand inconnu de Bruxelles

Davos, le grand inconnu de Bruxelles

Si la mode est à la transparence, elle n’est en rien synonyme de visibilité. Bien au contraire même, de l’Art royal à La lettre volée d’Edgar Poe, l’adage tromper sans mentir est intemporel. Encore aujourd’hui, tout se passe – et se cache – en pleine lumière. Illustration.

Le registre de transparence européen, consultable sur le site de la Commission européenne, fournit un certain nombre d’informations sur chaque entité de lobbying qui y est inscrite. Il s’agit d’ « une base de données des groupes d’intérêts qui cherchent à influer sur l’élaboration des politiques et de la législation européenne ». Le registre met en lumière « les intérêts défendus, par qui et avec quels budgets ». Il « favorise la transparence relative aux représentations d’intérêts et davantage visible la participation des parties intéressées et de la société civile dans le processus de prise de décision démocratique des institutions européennes ». Dans ce cadre, suite aux dispositions de la Commission de novembre 2014, les commissaires, les membres de leurs cabinets et les directeurs généraux rendent compte des réunions avec les organisations ou des personnes indépendantes de celles-ci.

Nous y trouvons notamment les rencontres (meetings) de chacune d’entre elles avec des fonctionnaires de la Commission, avec plusieurs précisions : nombre de rencontres, fonctionnaire rencontré et poste, portefeuille, date, lieu (ou plutôt format : visio, etc.) et sujet traité. Nous n’obtenons malheureusement pas plus d’informations, comme les minutes des meetings.

Au cours de notre rapport sur l’influence des ONG sur le processus législatif européen, nous avons découvert que le Forum de Davos, sous son nom officiel World Economic Forum, figurait sur ce registre, où il était enregistré en tant qu’entité de catégorie III, i. e. ONG, coalitions, réseaux et plateformes. Nous avons également souligné les liens de ce dernier avec la Commission : Jean-Claude Juncker est affilié au Forum de Davos, Ursula von der Leyen fut membre du conseil d’administration du WEF d’août 2016 à sa présidence européenne fin 2019. Plusieurs Global Shapers officient à la Commission européenne. Des Young Global Leaders se trouvent également à divers niveaux, dont la plus récente est l’eurodéputée Eva Maydell, membre du PPE.

Durant notre rédaction (avril à juin 2021), la fiche du World Economic Forum que nous avions consultée a disparu du registre. Elle est réapparue par la suite autour de fin mai / début juin, mais avec une différence notable : le nombre de meetings, auparavant de 39, avait été réinitialisé (un Great Reset, en quelque sorte). Pourtant, la fiche indiquait bien qu’il s’agissait des meetings tenus par cette organisation « depuis le 01/12/2014 », date d’implémentation de ce procédé au sein du registre.

Dès lors, la frontière est ténue entre la dissimulation et la simple inaccessibilité technique : le nouveau numéro de la fiche est 567538843366-43. Or, les 39 meetings précités du WEF avec les fonctionnaires de la Commission ont eu lieu sous le numéro de fiche 049060636194-17, désormais indisponible :

Mais ce n’est pas tout. Cette « première » fiche, que nous avons à l’époque téléchargée, date les premiers meetings entre le WEF et la Commission du 15/10/2019, où Davos a mené trois rencontres avec ces fonctionnaires. Mais cette information est là encore incomplète. Pour avoir l’information complète, nous devons nous reporter à l’outil Integrity Watch 1, dont nous parlons régulièrement pour ses nombreuses qualités. Dans la rubrique « Commission Meetings », nous notons, pour la période du mandat Juncker (2014-2019), que deux entrées distinctes du World Economic Forum existent :

L’une comprend 17 meetings. L’autre comprend 3 meetings et correspond à la « première » fiche dont nous avons déjà parlé. Il s’agit des 3 meetings qui se sont tenus le 15/10/2019, peu avant le passage à la présidence von der Leyen, le 1er décembre 2019.

En parcourant les meetings de l’entrée aux 17 meetings, nous remarquons un élément important : toutes ont eu lieu sans que le Forum de Davos soit enregistré en tant que lobby sur le registre de transparence. Les thèmes, variés, ont porté entre autres sur les sujets suivants : plateforme financière sur l’économie circulaire, dialogue de haut niveau du WEF sur l’économie numérique, échanges sur le WEF 2019 (avec Pierre Moscovici), finance durable, quatrième révolution industrielle 2, etc.

Integrity Watch précise que pour toutes ces rencontres, entre le 05/09/2017 et le 21/05/2019, le World Economic Forum était « unregistered ». Ce « détail » n’a pas empêché le WEF d’accéder aux plus hauts fonctionnaires de la Commission. Le 24/05/2018, le président de la Commission d’alors, Jean-Claude Juncker, a rencontré Klaus Schwab au sujet de la Conférence sur l’avenir de l’Europe. Le 06/06/2018, le WEF a participé à un meeting placé sous l’égide de Michel Barnier, responsable des négociations sur le Brexit, dans le cadre du groupe de travail sur cette question :

Le World Economic Forum a-t-il donc bénéficié de passe-droits ?

Les explications relatives au fonctionnement du registre précisent en effet que l’enregistrement fournit des avantages aux représentants des entités enregistrées. Pour la Commission européenne, il s’agit des suivants :

  • Possibilité de rencontres avec les membres de la Commission, les membres de cabinet et le directorat général.
  • Possibilité d’être informé des consultations publiques et des feuilles de route dans le domaine d’intérêt des déclarants.
  • Capacité à être désigné comme « un certain type de membre d’un groupe d’experts ».
  • Réception d’un patronage.
  • Possibilité d’inviter les fonctionnaires européens à une réunion ou à un évènement. Sur ce point, le rapport souligne que « les contacts avec les organisations non enregistrées peuvent être limités ».

1 – Par souci d’honnêteté, rappelons que l’excellent Integrity Watch est un outil de Transparency International cofondé notamment par l’Open Society Initiative for Europe (OSIFE).

2 – Du nom du livre éponyme de Klaus Schwab (2016).

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